[PLAIDOYER DE L'AJPJA] : Pour une psychiatrie plus attractive, vers des politiques de santé mentale publique
Paris, le 30 avril 2025
En cette année 2025 dédiée à la santé mentale et à la veille des 10 ans de sa création, l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA) souhaite réaffirmer le plaidoyer qu’elle porte et son engagement en faveur des droits et du rétablissement des personnes concernées par des troubles psychiques. Elle en appelle également à la responsabilité de la puissance politique pour construire et déployer des politiques de santé mentale publique ambitieuses.
DES LEVIERS D’ACTION POUR UNE PSYCHIATRIE PLUS ATTRACTIVE
Depuis bientôt 10 ans, l’AJPJA fédère et représente les jeunes psychiatres, pédopsychiatres et jeunes addictologues pour construire une réflexion collective sur nos disciplines. L’association est engagée aux côtés de nombreux acteurs du champ de la santé mentale pour promouvoir la transformation du système de soins en santé mentale autour d’un objectif commun : soutenir les processus individuels de rétablissement et la pleine citoyenneté des personnes concernées par des problématiques psychiques.
Le paradigme du rétablissement en psychiatrie et en addictologie devrait être évident. C'est une approche globale, largement relayée à l’international, centrée sur les besoins de la personne tels qu’elle les exprime et les priorise, et non pas uniquement sur ce que le professionnel pense « bon pour elle ». Il positionne le respect des droits fondamentaux comme une boussole guidant les soins, permettant de garantir la pleine citoyenneté aux personnes concernées. Il permet de penser notre métier de soignants, quel que soit le cadre théorique convoqué, comme aidant la personne à reprendre son pouvoir sur elle-même, sur ses décisions, sur ses choix de vie.
Pourtant, la psychiatrie reste marquée par des asymétries de pouvoir entre professionnels, personnes concernées et proches, entre ceux qui détiendraient le savoir et ceux qui reçoivraient les soins.
Soutenir les processus individuels de rétablissement, ce n’est pas faire partie d’un courant de pensée ni adopter une posture militante, c’est affirmer un cadre éthique qui offre la possibilité de (re)donner du sens aux soins pour les personnes concernées et aux pratiques professionnelles pour les soignants.
Cette approche globale nécessite que nous définissions la façon dont nous souhaitons que nos spécialités évoluent et aux moyens d'y parvenir, tenant compte des limites de ce que la psychiatrie, la pédopsychiatrie, et l’addictologie peuvent apporter, et du champ de compétence des autres acteurs en santé mentale.
Forts des résultats de l’enquête transgénérationnelle #ChoisirPsychiatrie, conjointement menée en 2021 par l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (AFFEP) et sur l’initiative de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologies (AJPJA), nous identifions aujourd’hui 3 leviers d’actions concrets pour rendre la psychiatrie plus attractive, au bénéfice des citoyens concernés par des troubles d’une part, et des professionnels de santé d’autre part.
1. L’AJPJA réaffirme le souhait d’une transformation profonde des pratiques soignantes
Cette transformation passe par une réorganisation des soins psychiatriques pour qu’ils viennent pleinement en soutien des processus individuels de rétablissement. Cette réorganisation se traduit par différents leviers d’action plébiscités et prioritaires, à savoir une redéfinition des missions du secteur pour une approche graduée des soins (1), une massification des dispositifs de soins ambulatoires et des équipes mobiles intervenant au plus près des usagers dans leur milieu de vie, un soutien et une articulation avec la psychiatrie libérale et une systématisation du travail avec les proches-aidants, soutien essentiel des usagers, et les réseaux de partenaires.
En effet, la place des acteurs du soin de première ligne (médecins généralistes, professions paramédicales, nouveaux métiers), mais également des partenaires non sanitaires des champs du social, médico-social, du monde associatif, éducatif, scolaire et judiciaire doit être valorisée car ils font partie intégrante de l’accompagnement des personnes concernées.
L’attractivité du métier de psychologue doit être renforcée dans les services de psychiatrie et d’addictologie alors que seulement 20% des psychologues en exercice actuellement travaillent en milieu hospitalier toutes spécialités confondues (2). Nous tenons à rappeler que les psychothérapies font parties des soins recommandés comme traitement de première intention pour l’ensemble des troubles psychiatriques caractérisés, quel que soit l’âge et quel que soit leur niveau de sévérité (3).
Pourtant, les psychothérapies restent aujourd’hui structurellement indisponibles pour une grande majorité des personnes et sous-valorisées pour les psychologues et les psychiatres qui les dispensent. Dans cette perspective, l’accès à des soins de psychothérapie remboursés en ville doit être soutenue.
La transformation des pratiques doit également passer par le développement des pratiques axées sur la prévention à tous les âges et tous les niveaux.
Ceci implique une massification de l’offre de soins en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées - la moitié des troubles psychiatriques débutent avant 14.5 ans -, une massification de l’offre de soins en addictologie et un investissement fort dans l’évaluation médico-économique centrée sur l’innovation organisationnelle, les dispositifs ambulatoires et les dispositifs d’amont et/ou d’intervention précoce.
Par ailleurs, l’AJPJA se positionne en faveur d’une réduction du recours aux soins sans consentement et pour l’abolition des pratiques d’isolement et de contention au profit de pratiques plus respectueuses des droits et de la dignité des personnes. Ces pratiques existent, sont en place dans certains services, et des programmes de soutien à leur implémentation ont été développés pour accompagner les équipes (programme QualityRights de l’OMS). Ces transformations méritent d’être soutenues par un engagement politique conséquent, avec un plan d’action national clair pour atteindre ces objectifs.
Enfin, forts de l’expérience de nos voisins européens, nous demandons le déploiement d’une formation massive des professionnels à la déprescription en psychiatrie, le développement d’une organisation de soins adaptée et le déploiement des outils nécessaires. L’accès à la déprescription doit être soutenu comme un droit fondamental.
Ce premier levier d’action apparaît crucial parce que la transformation des pratiques de soins en psychiatrie constitue un levier puissant pour rendre leur dignité aux personnes concernées, aux proches et à tous les professionnels qui les soignent et les accompagnent.
Dans cette perspective, l’AJPJA soutient pleinement l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques adossées aux données probantes en psychiatrie et en addictologie, et l’intégration de la pair-aidance dans les pratiques professionnelles usuelles recommandées. De telles recommandations seront non seulement reconnues comme étant efficaces par les scientifiques, les soignants, les usagers et les décideurs mais également garantes du respect des droits. Elles seront donc attractives pour tous.
De plus, la présence de pair-aidants au sein des équipes constitue un levier puissant de transformation des postures, des pratiques professionnelles et des organisations de soin. La reconnaissance et l’intégration des vécus et des savoirs expérientiels, en complémentarité des savoirs académiques est un soutien actif et nécessaire aux processus individuels de rétablissement. Par conséquent, l’AJPJA soutient toutes les actions qui concourent à améliorer la reconnaissance du statut, la rémunération et le cadre de travail des pairs-aidants professionnels et Médiateurs de santé-Pairs.
2. L’AJPJA appelle à une réforme et une revalorisation de la formation globale à tous les niveaux, pour les étudiants en médecine, internes en psychiatrie, et psychiatres diplômés
La formation initiale et continue doit promouvoir l’exposition à la réalité du rétablissement, notamment via la participation des patients-enseignants (4), en concordance avec l’impact reconnu de la rencontre avec les personnes concernées sur la stigmatisation en population générale. Les professionnels de santé mentale et les services de santé mentale ont été identifiés comme étant deux sources de stigmatisation majeures pour les usagers et leurs proches-aidants : c’est un enjeu central (5).
De plus, l’enseignement et la formation aux notions éthiques en psychiatrie doivent être soutenues tout au long du parcours professionnel. Nous rappelons que la psychiatrie est la seule spécialité médicale qui autorise les soins sans consentement et les pratiques non thérapeutiques d’isolement et de contention, en augmentation depuis plusieurs années (6). Par ailleurs, un récent rapport du Comité consultatif national d'éthique pointe les enjeux éthiques que soulève l’état du système de soins en psychiatrie, au détriment des usagers (7).
Par ailleurs, plusieurs enquêtes font état d’une dégradation de la santé mentale des étudiants en médecine et des internes. Ils souffrent d’un manque de supervision et de compagnonnage, d’échanges cliniques, et de diversité des terrains de stage en particulier en ambulatoire. La valorisation de l'engagement pédagogique par l'ensemble des équipes de psychiatrie apparaît comme un levier certain pour renforcer l'accompagnement des étudiants en médecine et internes et l'attractivité de la spécialité. Les terrains de stages doivent proposer un enseignement pratique engagé, l’encadrement et le compagnonnage doivent être investis et portés collectivement par tous les professionnels que rencontrent les étudiants en médecine et internes au cours de leur formation : tous doivent être vecteur d’une vision positive de la spécialité.
Cette refonte et cette revalorisation de la formation pratique et théorique en psychiatrie nécessitent l’implication et l’engagement de toutes les parties concernées, en particulier les doyens d’université et collèges universitaires, mais également l’ensemble des équipes et services qui accueillent les étudiants en médecine et internes en psychiatrie.
Enfin et à l’heure où plus de 35% des postes de praticiens hospitaliers sont vacants en psychiatrie (8), l’AJPJA rappelle l’importance de développer des activités professionnelles plus finement adaptées aux compétences des praticiens hospitaliers.
Elle se positionne en faveur d’un accompagnement aux activités d’enseignement et de recherche, y compris dans les établissements non universitaires.
La prise de responsabilité institutionnelle doit impérativement être accompagnée, car la qualité des relations avec l’environnement professionnel est un facteur déterminant de fidélisation à l’exercice hospitalier. Dans le contexte de nécessaire réorganisation des soins en psychiatrie, il apparaît également urgent de former tous les psychiatres hospitaliers à coordonner les soins et à déléguer, ainsi qu’à la gestion d’équipe et la conduite de projets (management et leadership).
3. L’AJPJA plébiscite la mise en place d’actions de lutte contre la stigmatisation en santé mentale, plus particulièrement en psychiatrie et en addictologie
Dans le champ des pratiques, le développement d’actions de lutte contre la stigmatisation revient à favoriser des pratiques professionnelles moins coercitives. Ceci constitue également le changement attendu par les usagers et leurs proches aidants et la condition essentielle pour améliorer l’accès à des soins de qualité. Affranchir la psychiatrie des pratiques stigmatisantes c’est infléchir la stigmatisation qui lui est associée, et c’est aussi améliorer la qualité de vie au travail des soignants en psychiatrie : moins de soins contraints et plus de respect des droits pour une meilleure qualité de vie au travail et plus d’attractivité pour la spécialité.
L’AJPJA réclame également un travail de fond avec les journalistes, pour agir concrètement sur les idées reçues sur notre profession. Elle plaide pour le développement de programmes impliquant les étudiants en psychiatrie et en journalisme sur le modèle du programme Papageno, et une formation facilitée des (futurs) psychiatres exposés au média training. Cette action partenariale avec les médias est essentielle pour permettre aux futures générations de psychiatres d’être les ambassadeurs et ambassadrices d’une image positive de la psychiatrie qui accompagnera la transformation des pratiques. Il s’agit d’un champ d’action prioritaire et déjà appelé de leurs vœux par les auteurs de précédents rapports (9).
Enfin, les campagnes nationales de lutte contre la stigmatisation n’ont pas l’impact attendu. Des campagnes décentralisées, avec des actions portées par les acteurs de la santé mentale (professionnels, aidants et usagers) au plus près des populations doivent être déployées. Les Semaines d’information en santé mentale (SISM) répondent à ces impératifs permettant des actions inclusives, portées transversalement et au plus près des territoires.
DES POLITIQUES DE SANTÉ MENTALE PUBLIQUE
Le rétablissement, comme « processus foncièrement personnel et unique » et comme « moyen de vivre une vie satisfaisante, remplie d’espoir et productive malgré les limites résultant de la maladie » (Anthony, 1993), va de pair avec la possibilité de faire pleinement valoir sa citoyenneté, sa dignité, son autonomie et ses choix personnels. Accompagner les personnes vivant avec un trouble psychique dans leur processus individuel de rétablissement n’est pas le seul fait de la psychiatrie ou de l’addictologie. Cela dépend aussi de notre capacité collective à créer une société réellement inclusive des différences de chacun. La psychiatrie et l’addictologie sont deux disciplines médicales intimement liées aux évolutions sociales et sociétales. Elles ne peuvent donc pas prétendre en ignorer les évolutions politiques. La santé mentale des personnes, particulièrement celles vivant avec un trouble psychique et/ou une addiction, est très nettement déterminée par leurs conditions socioéconomiques et ce dès l’enfance. C’est une réalité scientifique aussi bien qu’un constat quotidien dans notre métier : l’exclusion, la stigmatisation, les discriminations, l’isolement, le mal logement, les violences dans toutes leurs formes, la précarité et les menaces écologiques ou géopolitiques sont autant de fléaux qui favorisent l’émergence ou la persistance des troubles psychiques et d’addictions. Ces fléaux sont, en retour, bien plus fréquents pour les personnes déjà concernées, notamment du fait d’une stigmatisation endémique de ces troubles.
Aussi, les recommandations de bonnes pratiques que nous plébiscitons ne peuvent pas, à elles seules, résoudre les problématiques individuelles de santé mentale sans actions des politiques sur les déterminants sociaux de santé mentale. La santé mentale doit donc être abordée sous l’angle de la santé publique, et des politiques de santé mentale doivent ainsi être engagées à un niveau interministériel(10). L’AJPJA soutient le concept de santé mentale publique et sa mise en œuvre en tant qu’« efforts organisés de la société pour prendre soin des troubles psychiques et promouvoir la santé mentale » (11). Cette perspective permettra d’engager l’ensemble des acteurs du champ, et de contribuer à résoudre le paradoxe qui place à la fois la France au 5ème rang des pays européens les mieux dotés en ressources médicales psychiatriques adultes (12) et au 5ème rang des pays avec la prévalence des troubles psychiques la plus élevée (13).
Notre génération de psychiatres réclame une mise en mouvement de la psychiatrie, les moyens humains et financiers pour y parvenir. Nous voulons changer notre façon de concevoir le soin et nous nous projetons pour les années à venir dans une psychiatrie moderne, humaniste, progressiste, courageuse et capable de remise en question. Une psychiatrie respectueuse d'un travail mené collectivement et en partenariat avec les usagers, les proches aidants et leurs expertises d’expérience, ainsi que tous les acteurs du champ de la psychiatrie et de la santé mentale.
Sources
1. Les parcours dans l'organisation des soins de psychiatrie | Cour des comptes
2. DREES (shinyapps.io)
3. Haute Autorité de Santé - Programme « santé mentale et psychiatrie » de la HAS
4. Des patients partenaires d’enseignement : une avancée historique dans les formations médicales | Cairn.info
5. Programme de résistance au stigma : l’intervention STIGMApro
6. Les soins sans consentement et les pratiques privatives de liberté en psychiatrie : un objectif de réduction qui reste à atteindre - Irdes
7. ENJEUX ÉTHIQUES RELATIFS À LA CRISE DE LA PSYCHIATRIE : UNE ALERTE DU CCNE
8. La FHF en action | Renforcer l’attractivité des métiers de la santé et du médico-social | Fédération Hospitalière de France
9. Rapport LAFORCADE Mission santé mentale oct 2016m
10. AAC_CongresSFSP2025.pdf
11. Dykxhoorn. J et al, Conceptualising public mental health : development of a conceptual framework for public mental health. BMC Public Health. 2022
12. Number of psychiatrists: how do countries compare? - Products Eurostat News
13. Mental health